samedi 18 octobre 2025

Paru Itagaki - Bota Bota

  

Auteur / Dessinateur : Paru Itagaki
Editeur : Ki-oon
Parution : 2 octobre 2025
Pages : 216
EAN-13 : 979-1032719817


Mako Hikari est une femme à la constitution particulière, elle saigne abondamment du nez lorsqu'elle touche quelque chose de sale.
Son objectif : trouver un compagnon et avoir des relations sexuelles.
Désespérée, elle s'offre aux hommes sur son lieu de travail.
Néanmoins, aucun ne correspond à ses critères, aucun n'étant assez propre pour ça.



Il est des œuvres qui ne cherchent pas à plaire.
Des œuvres qui résistent à la consommation rapide, qui nécessite une certaine réflexion de la part de son lectorat.
Bota Bota en fait partie et c’est peut-être ce qui le rend si difficile à cerner… et d’autant plus intéressant à analyser.
Ce one-shot signé Paru Itagaki — que je découvrais pour la première fois ici — n’a pas tant éveillé en moi un plaisir de lecture qu’une forme de trouble. Pas désagréable, mais inconfortable, au sens fort du terme : cela m’a sortie de mon cadre habituel.

L’univers graphique, d’abord, est volontairement rugueux. Les visages, les postures, les scènes… tout y est exagéré, presque grotesque par moments. Rien n’est lissé. Rien n’est vraiment “joli”.
Cette laideur participe à un effet de distanciation : le lecteur n’est jamais installé dans une position confortable.
C’est un choix formel qui fait sens : l’œuvre elle-même parle d’un rapport troublé au corps, à l’hygiène, à la sexualité, au contact humain. Elle met en scène une obsession du “propre” qui vire à la phobie. La narration visuelle s’aligne avec cette obsession : elle dérange, visuellement et symboliquement.

Ce qui m’a marquée, c’est la manière dont le manga aborde le thème du désir sous un angle radicalement original : il n’est jamais idéalisé, ni même représenté comme quelque chose de fondamentalement positif.
Au contraire, il est présenté comme un lieu de conflit, de honte, de répression.
Cette lecture nous confronte à nos propres limites — ce que l’on attend d’une histoire dite “intime”, ce que l’on tolère ou non dans une représentation de la sexualité féminine.
Le malaise devient ici un outil narratif.
Et c’est précisément là que l’œuvre, selon moi, prend tout son intérêt : elle brouille les lignes, elle refuse les conventions du genre romantique ou érotique et expose à nu les contradictions d’un corps féminin trop longtemps observé de l’extérieur.

Autre point notable : la construction du récit n’est pas linéaire, ni très lisible à première vue.
Il y a des ruptures de ton, des disgressions, des personnages secondaires à peine esquissés. L’ensemble donne une impression d’instabilité.
Toutefois, cette fragmentation, qu’on pourrait prendre pour une faiblesse, participe justement à l’expérience sensorielle et mentale que propose le manga : on est baladé entre le grotesque, le pathétique, le tragique, l’absurde.
C’est déroutant, parfois dérangeant, et pourtant cohérent.
L’œuvre agit plus comme un catalyseur de sensations que comme une narration fluide.

En conclusion, Bota Bota ne se livre pas facilement.
Ce manga ne cherche ni à plaire, ni à rassurer.
Néanmoins, il propose une véritable expérience de lecture, au sens où il interroge la représentation du corps, du rapport à l’autre, et du désir — surtout quand ceux-ci ne rentrent dans aucune norme.
Je ne sais pas si je pourrais dire que j’ai aimé ce manga, mais je sais qu’il m’a fait réfléchir, et qu’il m’a obligée à reconsidérer certains automatismes de lecture.
Et dans une époque saturée de récits prévisibles, cela me semble déjà très précieux.

mercredi 15 octobre 2025

Cécile et Lionel Marty - Automne

 

Auteur / DessinateurCécile et Lionel Marty
Éditeur : Delcourt
Collection : Terres de légendes
Parution : 10 septembre 2025
Pages : 64
EAN-13 : 978-2413036678


Automne, seule survivante des Dryades, est liée à un arbre matriciel dont elle tire sa vie et sa force. Les Anciennes lui ont confié la mission cruciale de protéger ce dernier arbre, sous peine de voir sa lignée s'éteindre. Mais le peuple du fer s'aventure dans la forêt sacrée, coupe et brûle tout sur son passage. Automne va devoir intervenir pour les arrêter et préserver son existence.


Avant toute chose, je tiens à remercier les éditions Delcourt de m’avoir permis de lire cet ouvrage via la plateforme NetGalley.

L’objet est beau, le titre évoque le temps qui décline, ce qui meurt doucement, ce qui se souvient.
L’histoire, elle, se veut fable : Automne est la dernière dryade, gardienne silencieuse d’un arbre millénaire, reliquat d’un monde englouti. Face à elle, un peuple humain aveuglé par la logique du fer, de la construction, du profit. L’un préserve, l’autre rase. La confrontation paraît inévitable.

Il y a dans ce récit une sincérité qui touche. Une envie claire de parler de la nature comme d’un être vivant, vulnérable, habité de mémoires anciennes. La métaphore est assumée, peut-être un peu appuyée parfois, mais portée par une sensibilité réelle. Le dessin épouse bien cette ambition : les textures végétales foisonnent, les couleurs rappellent les mousses, les écorces, les rivières obscures. On sent la forêt, on la voit presque respirer entre les cases.

Toutefois, malgré cette richesse visuelle, le récit peine à se hisser à la hauteur de ses intentions. Il reste trop lisse, trop attendu. Le schéma narratif est classique, presque archétypal : la gardienne sacrifiée, l’agresseur mécanisé, le monde ancien balayé au nom du progrès. On sent ce que les auteurs veulent dire, mais on ne le ressent pas toujours pleinement. Automne elle-même, en tant que personnage, reste distante. Son silence aurait pu être densité, profondeur ; il devient ici retrait, effacement.

J’ai pensé, en lisant, à Mortal Engines — ce monde où les villes, littéralement, dévorent les plus petites pour survivre. À Mad Max, aussi, où les ruines industrielles deviennent le seul horizon, où la vitesse et la violence tiennent lieu de loi. Automne n’est pas aussi frontalement dystopique, mais la logique à l’œuvre est la même : un monde qui avance sans conscience, mû par un besoin de croissance devenu absurde.

Ici, la ville moderne n’est pas monstrueuse, pas encore. Elle est méthodique, désincarnée. Ce n’est pas une question de malveillance, mais d’oubli. Elle ne détruit pas par haine, mais par automatisme. Et c’est peut-être encore plus inquiétant. Le message écologique, s’il n’est pas neuf, reste pertinent : ce que l’humain consume, c’est aussi ce qui pourrait le sauver — une relation au vivant, à la lenteur, à ce qui ne produit rien mais donne tout.

Reste cette impression, en refermant le livre, d’un projet fort mais un peu retenu. Comme si, à force de vouloir préserver la nature, les auteurs n’avaient pas osé en déranger les branches. L’émotion est là, mais contenue. Le propos est clair, peut-être trop. Il manque cette zone d’ombre, ce trouble qui fait vaciller nos certitudes et donne du poids à l’histoire.

Automne est donc un bel objet, un livre qui mérite d’être lu, ne serait-ce que pour ce qu’il tente. Mais c’est aussi une œuvre qui laisse entrevoir tout ce qu’elle aurait pu être : plus ambivalente, plus incarnée, plus vertigineuse. Une graine plantée, certes, mais qui n’a pas tout à fait pris racine.

lundi 6 octobre 2025

V. E. Schwab - La vie invisible d'Addie Larue

 Auteur : V. E. Schwab
Editeur : Lumen
Parution : 3 juin 2021
Pages : 696
EAN-13 : 978-2371023048




Une vie dont personne ne se souviendra... Une histoire que vous ne pourrez plus jamais oublier... Une nuit de 1714, dans un moment de désespoir, une jeune femme avide de liberté scelle un pacte avec le diable. Mais si elle obtient le droit de vivre éternellement, en échange, personne ne pourra jamais plus se rappeler ni son nom ni son visage. La voilà condamnée à traverser les âges comme un fantôme, incapable de raconter son histoire, aussitôt effacée de la mémoire de tous ceux qui croisent sa route.

Ainsi commence une vie extraordinaire, faite de découvertes et d'aventures stupéfiantes, qui la mènent pendant plusieurs siècles de rencontres en rencontres, toujours éphémères, dans plusieurs pays d'Europe d'abord, puis dans le monde entier. Jusqu'au jour où elle pénètre dans une petite librairie à New York : et là, pour la première fois en trois cents ans, l'homme derrière le comptoir la reconnaît. Quelle peut donc bien être la raison de ce miracle ? Est-ce un piège ou un incroyable coup de chance ?



J’ai ce roman dans ma bibliothèque depuis sa sortie. Il me faisait envie, je savais qu’il finirait par me parler, mais je repoussais toujours le moment de m’y plonger.
Et puis, la lecture commune du mois de septembre organisée par le bookclub de Chez Cha Cheshire a été le déclic. L’occasion parfaite pour enfin rencontrer Addie.
Je savais que ce serait un roman particulier, un de ceux qui prennent leur temps, qui creusent doucement. Ce que je n’avais pas prévu, c’est à quel point il me laisserait cette sensation étrange : un mélange de légèreté, de mélancolie et de réflexion.
Il est des romans qui ne crient pas. Ils chuchotent à travers les siècles. Ils n’exigent pas d’être lus dans le fracas, mais dans ce silence où la mémoire se fêle. La vie invisible d’Addie Larue appartient à cette lignée : celle des œuvres qui narrent l’absence, sculptent le vide et habitent l’invisible.

Addie Larue refuse le destin qu’on veut lui imposer. En 1714, pour échapper à un mariage arrangé, elle passe un pacte : vivre libre, mais oubliée. Aussitôt qu’elle quitte une pièce, les gens ne se souviennent plus d’elle. Pas de nom, pas de trace, pas de souvenir.
Le concept est aussi cruel que fascinant. Et c’est ce qui m’a tenue tout au long du roman : ce mélange de solitude, de résistance et de désir de laisser une empreinte. Parce qu’Addie cherche quand même à exister. À se glisser dans les interstices de l’Histoire. À inspirer des œuvres, des idées, des émotions. Même si personne ne sait que c’est elle.

On pense forcément au mythe faustien du pacte avec le diable. Addie vend son âme pour être libre et découvre que la liberté a un prix qu’elle n’avait pas mesuré. La relation qu’elle entretient avec Luc — celui à qui elle a fait ce pacte — est complexe. Il est séduisant, mystérieux, parfois cruel, parfois troublant. Leur dynamique m’a autant intriguée qu’agacée par moments. C’est justement ce qui la rend intéressante.
Ce que j’ai aimé, c’est qu’on la suit à travers plusieurs siècles, plusieurs vies. Elle change de ville, de pays, elle observe le monde évoluer sans jamais vraiment y appartenir. C’est à la fois fascinant et profondément triste.

Et puis, il y a Henry, à New York, en 2014. Celui qui, pour une raison mystérieuse, se souvient d’elle. À partir de là, le roman prend une autre tournure.
Leur relation apporte un vrai contraste : Addie, marquée par 300 ans de solitude ; Henry, abîmé par ses propres doutes, sa peur de ne jamais être "assez". Ensemble, ils essaient d’exister dans un monde qui les abîme autrement.
C’est une histoire d’amour, oui, mais pas seulement. C’est surtout une histoire de reconnaissance. Le besoin d’être vu, vraiment.

Le roman prend son temps. On est loin du récit d’action. Il y a des longueurs, parfois. Mais si on accepte le rythme, on se laisse porter. Il y a des passages que j’ai trouvés très beaux, d’autres un peu répétitifs, mais dans l’ensemble, j’ai aimé me laisser happer par cette ambiance un peu hors du temps
On alterne entre passé et présent, entre moments d’errance et instants de tension. C’est fluide, mélancolique, souvent touchant.

La vie invisible d’Addie Larue est un roman qui parle d’existence, de solitude, de ce besoin universel d’être vu, reconnu, aimé. Ce n’est pas une lecture légère, mais une lecture qui marque, qui pousse à réfléchir.
Ce n’est pas un coup de cœur immédiat pour moi, mais c’est un roman que je suis contente d’avoir lu et encore plus d’avoir partagé dans le cadre du bookclub de Chez Cha Cheshire. Il m’a laissée avec des questions, quelques émotions en suspens et le souvenir d’un personnage qui, paradoxalement, malgré sa malédiction, ne s’efface pas.

samedi 20 septembre 2025

Charlotte Brontë, Emily Brontë et Anne Brontë - Jane Eyre / Les Hauts de Hurle-Vent / Agnès Grey

 

Auteurs : Charlotte Brontë, Emily Brontë et Anne Brontë
Editeur : Lgf Le Livre de Poche
Parution : 1er octobre 1997
Pages : 1 088
EAN-13 : 978-2253132387



Cette édition comprend les trois romans principaux des trois sœurs Brontë ainsi qu'une biographie illustrée. Sylvère Monod, spécialiste de la littérature anglaise du XIXe siècle, s'attache à faire ressortir l'influence du milieu qui devait marquer profondément la sensibilité des trois romancières.

Un père taciturne et fantasque, une mère évanescente et rêveuse, tôt disparue, une race imaginative, véhémente et passionnée : tels furent les dons du Destin pour les trois sœurs qui allaient devenir, comme le dit Virginia Woolf, " les femmes les plus attirantes du roman anglais ".
Elles étaient également douées pour tous les arts. Elles aspiraient ensemble, dès l'enfance, à donner une forme à leurs songes. Elles vécurent unies jusqu'à la mort, concentrées sur elles-mêmes comme un groupe d'exilés, dans un presbytère de campagne perdu sur la lande du Yorkshire.
Si, des trois sœurs Brontë, c'est Emily qui possède au plus haut point l'art de donner la vie aux mots, l'identité de leur triple génie se révèle par cette violence à voix douce qui est le ton même de la tragédie. Comme les Parques ou les Charites, les Brontë sont indissociables. C'est ainsi qu'il faut les découvrir ou les relire.
D'où la justification de ce volume.




🪶Jane Eyre🪶

Pour la lecture du mois d’août du bookclub de Chez Cha Cheshire, nous avons plongé dans un classique très connu. J’avais une vague idée de l’histoire, comme souvent avec les romans qu’on n’a pas lus mais qui circulent partout. Pourtant, la lecture a été bien plus déroutante que prévu.
Honnêtement, le début m’a paru interminable. L’enfance de Jane, marquée par la violence et le rejet, s’étire sur plusieurs chapitres avec un certain statisme. L’ambiance est pesante, presque étouffante. Ce n’est pas tant que ce soit mal écrit – l’autrice maîtrise parfaitement l’atmosphère – mais cela traîne. Il m’a fallu de la persévérance pour dépasser les premières dizaines de pages.

Heureusement, une fois arrivée à Thornfield, tout devient plus dense. Jane, jeune femme indépendante et cultivée, prend de l’ampleur. Ce n’est pas une héroïne classique : on insiste d’ailleurs régulièrement sur le fait qu’elle n’est pas jolie (peut-être un peu trop à mon goût). Une manière de la détacher des archétypes romantiques. Elle ne séduit pas, elle existe. Et c’est déjà beaucoup.

Ce qui rend Jane intéressante, c’est qu’elle est maîtresse de son histoire. Elle la raconte, elle choisit quoi dire, comment le dire. Elle ne cherche pas à susciter l’empathie facile. Elle veut être prise au sérieux. Elle incarne, à sa manière, une forme d’émancipation rare pour son époque. Elle affronte seule la pauvreté, la solitude, la marginalisation. Elle prend des décisions difficiles, parfois radicales, toujours cohérentes avec ce qu’elle est. Mais en même temps, elle n’est pas totalement détachée. Elle cherche le regard de l’autre, souvent celui d’un homme, comme un point d’appui ou un miroir. Ce paradoxe – vouloir rester libre tout en cherchant une forme de reconnaissance – la rend crédible (et parfois un peu agaçante). On voudrait qu’elle s’affirme plus vite, qu’elle dise non plus fort, qu’elle parte plus tôt. Et pourtant, sa lenteur à réagir est aussi ce qui la rend humaine.

Quant à M. Rochester… difficile de ne pas le voir comme un immense nid à red flags. Il ment, il manipule, il teste Jane en permanence. Il crée une tension malsaine, même si c’est sans doute ce qui rend leur relation aussi prenante. Il n’est jamais tout à fait odieux, mais il est profondément problématique. Ce qui sauve l’ensemble, c’est que Jane finit par lui échapper. Elle refuse de devenir sa dépendante, elle s’en va. Elle ne revient que lorsque les conditions sont différentes, lorsqu’elle peut le retrouver sans s’effacer. C’est un des rares romans du XIXe siècle où la femme ne sacrifie pas tout pour l’amour. Elle le choisit, mais à ses conditions.

Ce qui traverse tout le roman, c’est la tension entre l’amour et la liberté. Jane veut les deux, mais ne les confond pas. Elle ne cherche pas la fusion. Elle veut pouvoir partir si elle en a besoin. C’est cette possibilité qu’elle préserve, jusqu’au bout. Même quand elle revient, ce n’est pas une reddition. C’est un choix.

Je ne dirais pas que j’ai adoré le roman. Il y a des longueurs, des passages pesants (les sermons de St. John, notamment) et certains aspects m’ont franchement agacée. Mais Jane Eyre est une figure marquante. Pas parfaite, pas lisse, mais solide. C’est un livre qui mérite d’être lu pour ce qu’il dit sur la voix d’une femme dans un monde qui essaie constamment de la faire taire. Elle ne crie jamais, mais elle insiste. Et ça, ça reste.

samedi 13 septembre 2025

Luca Blengino, Antonio Sarchione et Axel Gonzalbo - Messaline : La déesse des miroirs


Auteur : Luca Blengino
Dessinateur : Antonio Sarchione
Coloriste : Axel Gonzalbo
Éditeur : Delcourt
Collection : Histoire & histoires
Parution : 17 septembre 2025
Pages : 56
EAN-13 : 978-2413079316


An 39 après J.-C. Valeria Messalina, 14 ans, est considérée comme la plus belle fille de Rome. Forcée d'épouser Claude, elle semble condamnée à la tristesse. Mais tout change quand Caligula est assassiné et Claude choisi comme nouvel empereur. Les portes du pouvoir s'ouvrent toutes grandes, mais ce sont la solitude et le besoin d'amour de Messaline qui vont tisser sa sinistre légende...


Avec Messaline : La Déesse des miroirs, les éditions Delcourt s’attaquent à l’une des figures les plus sulfureuses de la Rome antique. Entre réalité historique et légende noire, Messaline continue de fasciner. Mais l’album, s’il propose une relecture humanisante, soulève aussi quelques questions sur l’équilibre entre fiction, psychologie et rigueur historique.

Le récit s’ouvre à une époque charnière : Messaline, encore adolescente, est contrainte d’épouser Claude, futur empereur, plus vieux et physiquement disgracieux. On suit alors son ascension politique et intime, marquée par l’isolement, la recherche d’amour et une volonté farouche de s’imposer dans un monde d’hommes. Le scénario de Luca Blengino choisit de donner la parole à cette femme si souvent décrite par ses détracteurs masculins. Une démarche louable, qui tend à réhabiliter un personnage caricaturé, voire diabolisé.

Cependant, cette volonté de réécriture peut aussi donner le sentiment d’un certain lissage psychologique. À trop vouloir expliquer ou justifier ses actions, le récit prend parfois des accents un peu convenus. Messaline devient alors une figure presque trop moderne, trop consciente de sa condition, ce qui peut créer un décalage avec le contexte de la Rome impériale. Les amateurs d’Histoire rigoureuse pourraient y voir une forme de projection contemporaine sur un personnage antique.

Sur le plan graphique, le dessin d’Antonio Sarchione est d’un bon niveau : les visages sont expressifs, les décors romains crédibles et les scènes d’intimité comme de pouvoir sont mises en scène avec soin.

Cette bande dessinée s’inscrit pleinement dans l’esthétique et l’approche que semble proposer la collection Les Reines de Sang (que je ne connaissais pas) : un ton sérieux, un ancrage historique solide, une focalisation sur la condition féminine dans des périodes brutales. Ce cadre est à la fois sa force (on y apprend beaucoup, dans un format accessible) et sa limite : l’aspect pédagogique peut brider un peu la liberté narrative.

Messaline : La Déesse des miroirs est une lecture intelligente et sérieuse. Elle offre une relecture sensible d’un personnage historiquement dénigré, sans pour autant révolutionner la bande dessinée historique. Un bon album, solidement documenté, mais peut-être un peu trop sage et trop court pour pleinement capturer la fougue et les ambiguïtés de cette figure de la Rome antique.

mercredi 10 septembre 2025

Louise Helm - The Honeymoon Rematch


Auteur : Louise Helm
Lecteurs : Estelle Galarme et Laurent Blanpain
Éditeur : Lizzie
Parution : 30 avril 2025
Durée : 10 h 29 min
EAN-13 : 979-1036641411


– June Bennett, voulez-vous prendre Will Paris comme époux, et promettez-vous de lui rester fidèle, dans le bonheur ou dans les épreuves, dans la santé et dans la maladie, pour l'aimer tous les jours de votre vie ?
J'expulse tout l'air contenu dans mes poumons, mes yeux plongés dans ceux de Will, et cette fois, je ne détourne pas le regard.
– Non.
June avait tout pour être heureuse : une vie tranquille, un poste de rêve et Will, un patron incroyable qui s'avérait être aussi son fiancé. Jusqu'à ce que ce dernier révèle son vrai visage et qu'elle le quitte devant l'autel.

Face à la dépression de June qui s'installe, Alice, sa meilleure amie, fomente un plan improbable : envoyer June profiter de sa lune de miel avortée avec un mystérieux accompagnateur dégusté sur Find It, une application qui fait sensation.

Au carrefour de sa vie et à l'autre bout du monde, June rencontre ainsi Nathan, un jeune et charmant inconnu qui semble prêt à tout pour lui remonter le moral et se faire passer pour son époux. Mais lui aussi a des secrets... et June est-elle prête à faire à nouvelle confiance ? À ses risques et périls...

Découvrez avec The Honeymoon's Rematch une romance fake dating au bout du monde...



J’ai eu la chance de découvrir ce roman grâce aux éditions Lizzie via la plateforme NetGalley, et je dois avouer que c’est une belle surprise. D’ordinaire, je ne suis pas une grande lectrice de romance, mais cette histoire m’a totalement embarquée et m’a fait passer un très bon moment.
Petite précision importante pour celles et ceux que cela intéresse (ou au contraire qui préfèrent éviter) : il y a quelques passages de smut, jamais envahissants mais suffisamment présents pour être signalés.

Ce qui m’a tout de suite séduite, c’est l’ambiance. Le cadre ensoleillé et dépaysant donne une vraie légèreté à l’écoute et rend le roman parfait pour prolonger l’été. Même si l’intrigue repose sur des codes assez classiques, l’ensemble est efficace et plaisant, grâce à une bonne dose d’humour, de tendresse et de dialogues bien rythmés.

Côté personnages, chacun apporte une dynamique intéressante. June, avec ses failles et ses décisions parfois agaçantes, reste attachante, tandis que Nathan séduit par sa maturité et son côté rassurant. Mention spéciale à Alice, la meilleure amie, qui apporte fraîcheur et humour.

Bien sûr, tout n’est pas parfait : le début est un peu lent, certains thèmes sérieux sont effleurés sans être développés et la progression de la relation entre les protagonistes peut sembler rapide. Néanmoins, ces petits bémols ne gâchent pas l’expérience globale, qui reste solaire, fluide et divertissante.

L’atout majeur, selon moi, réside dans la version audio. Les deux narrateurs incarnent les personnages avec justesse. La voix douce et sensible d’Estelle Galarme correspond parfaitement à l’héroïne, tandis que la voix grave et rassurante de Laurent Blanpain donne beaucoup de profondeur au héros. Ensemble, ils renforcent l’immersion et rendent l’histoire encore plus vivante.

En conclusion, The Honeymoon Rematch est une romance légère, chaleureuse et dépaysante. Même si le roman ne surprend pas par son originalité, il remplit parfaitement sa mission : offrir une parenthèse douce et ensoleillée. Une belle découverte pour moi, qui ne suis pas une grande adepte du genre.

mercredi 3 septembre 2025

Jeremy Barlow et Josh Wood - Avatar : Au cœur des ombres

   

Auteur : Jeremy Barlow
Dessinateur : Josh Wood
Éditeur : Delcourt
Collection : Contrebande
Parution : 27 août 2025
Pages : 96
EAN-13 : 978-2413077978


Jake Sully est devenu le chef de la tribu Na'vi des Omatikayas, mais avec leur Arbre-Vie détruit, il commence à douter de sa place parmi eux. Alors que la querelle entre les Na'vi et les humains persiste, les tensions entre les tribus commencent à s'intensifier tandis que de vieux conflits familiaux engendrent traîtrise et trahison !


J’ai refermé Avatar : Au cœur des ombres avec un sentiment ambivalent. D’un côté, le comics a ses qualités indéniables : les planches sont soignées, les couleurs sublimes et l’univers de Pandora continue de fasciner par sa richesse visuelle. On retrouve Jake Sully en chef, confronté à des dilemmes personnels et tribaux, et cette approche introspective apporte un peu de fraîcheur par rapport aux films.

Mais malgré ces aspects positifs, j’ai eu du mal à pleinement m’immerger. Le récit m’a semblé trop dense pour son format : en moins de cent pages, le scénario tente de traiter trop de sujets – leadership, rivalités, écologie, héritage spirituel – et certains arcs auraient mérité d’être développés pour que les enjeux émotionnels prennent réellement.

Autre point : l’album s’adresse avant tout aux fans de l’univers. Si l’on connaît mal les personnages secondaires ou les coutumes Na’vi, certaines scènes paraissent abruptes ou manquent de contexte.

Pour un lecteur occasionnel, le récit peut sembler un peu confus et difficile à suivre.
En résumé, cet ouvrage est agréable à parcourir et offre quelques moments de vraie intensité émotionnelle, mais il ne m’a pas complètement convaincue. C’est un ajout correct à l’univers d’Avatar, mais qui manque de souffle et de profondeur pour marquer durablement. Une lecture que j’ai appréciée, mais sans être vraiment enthousiasmée.