Auteur / Dessinateur : Aki Poroyama
Editeur : Pika
Tomes : 2
Takopi est un petit extraterrestre arrivé tout droit de la planète Happy, pour répandre la joie sur Terre ! Sauf que la première personne à lui tendre la main est Shizuka, une fillette au visage infiniment triste... Aussitôt, Takopi se donne pour mission de lui rendre le sourire à l'aide de ses fantastiques "happy gadgets" ! Mais le petit alien est loin d'imaginer la noirceur de l'environnement dans lequel évolue l'écolière. L'innocence et la bonne volonté de Takopi vont peu à peu l'entraîner dans une situation inextricable... Jusqu'à ce que le pire se produise.
Il arrive parfois que certaines œuvres vous prennent par surprise. Pas par leur ampleur, ni leur durée, mais par la violence avec laquelle elles viennent vous chercher. Le Péché originel de Takopi, courte duologie, fait partie de ces lectures qui ne laissent pas indemne. Derrière son apparence enfantine, presque naïve, se cache un récit d’une profondeur émotionnelle et d’une noirceur rarement atteintes dans le manga contemporain.
Ce que Taizan 5 réussit avec une précision chirurgicale, c’est de faire coexister deux registres opposés : l’innocence lumineuse de Takopi et la noirceur insondable du monde humain. Le contraste est saisissant — et volontaire. Car plus le récit avance, plus cette candeur devient une sorte de prisme déformant à travers lequel on perçoit l’horreur quotidienne vécue par certains enfants.
Les thèmes abordés sont lourds, voire accablants : harcèlement scolaire, maltraitance et pression parentales, solitude, deuil, culpabilité. Shizuka, au centre de cette tempête, incarne une enfance meurtrie que personne ne semble entendre. Ni les adultes, ni ses camarades. Seul Takopi, en dépit de son incompréhension du monde humain, tente de la "sauver".
Mais que peut l’innocence face à la cruauté ?
Ce manga se divise en deux volumes, mais il serait plus juste de dire qu’elle se déroule en deux actes complémentaires.
Le premier tome frappe fort, très fort. Il nous jette dans la réalité de ces enfants blessés, avec un rythme rapide et des moments de tension insoutenables. Il ose l’irreprésentable, sans jamais tomber dans le sensationnalisme.
Le second volume, quant à lui, opère une relecture subtile du premier. Il interroge les choix, explore la possibilité d’un "autre chemin", joue avec les dimensions temporelles et les conséquences. C’est là que la science-fiction, jusqu’alors discrète, prend une ampleur philosophique : sommes-nous prisonniers de notre douleur ? Peut-on réécrire son destin ?
Cela dit, je dois avouer que certains passages m’ont laissée légèrement confuse quant à la chronologie. La structure narrative, volontairement éclatée dans la deuxième partie, nécessite de l’attention. On perd parfois un peu ses repères temporels, surtout si on enchaîne les chapitres rapidement. Rien de rédhibitoire, mais une lecture attentive s’impose pour bien saisir l’enchaînement des événements.
Le style graphique de Taizan 5 est à l’image de son personnage principal : simple, rond, presque enfantin. Et pourtant, il suffit d’un regard vide, d’un silence entre deux cases, pour que tout bascule. L’auteur (ou autrice) joue sur l’opposition constante entre la forme et le fond, utilisant le contraste visuel pour renforcer l’impact émotionnel.
Il y a peu de fioritures, mais chaque case semble pesée, chaque cadrage pensé. Et cela rend les moments de bascule encore plus percutants.
Dans un paysage manga saturé de séries à rallonge, Le Péché originel de Takopi se distingue par sa brièveté. Deux volumes, pas un de plus. L’histoire ne s’étire jamais, elle vise le cœur et l’atteint en plein centre. Elle nous pousse à réfléchir sur la souffrance que l’on ignore, sur les enfants que l’on ne regarde pas, sur l’innocence que l’on laisse mourir.
Ce n’est pas une lecture facile. C’est un choc. Mais c’est aussi un rappel nécessaire que certaines douleurs ne peuvent être réparées que si on choisit d’en parler.
Le Péché originel de Takopi est une œuvre rare : brève, brutale, bouleversante. Taizan 5 y explore avec une lucidité glaçante la douleur enfantine, la solitude, et la quête désespérée du bonheur. Portée par un dessin en trompe-l'œil et une narration habile (parfois un peu complexe dans sa deuxième partie), cette duologie s’impose comme un récit indispensable, à la croisée de la fable et du drame humain.
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