samedi 2 août 2025

Karim Alliane, Taous Merakchi et Mashi - Les combats invisibles, Tome 2

 
Auteurs : Karim Alliane et Taous Merakchi
Dessinateur : Mashi
Éditeur : Dupuis
Collection : K Factory
Parution : 31 octobre 2024
Pages : 224
EAN-13 : 978-2808505802


Gabriel et ses potes, les « Cavaliers de l'apocalypse » comme ils se surnomment eux-mêmes, terrorisent le lycée en jugeant et humiliant les filles tout en espérant les pécho. Léa, lycéenne au caractère bien trempé, refuse de se laisser faire. Mais face à cette meute aussi bête que dangereuse est-il seulement possible de se défendre ? De leur faire comprendre la gravité de leurs actes ?


Avec ce deuxième volume de Les Combats invisibles, les auteurs poursuivent leur immersion dans l’univers du harcèlement scolaire, mais en opérant un renversement du point de vue. Après un premier tome centré sur les victimes, cette suite prend le risque de nous faire entrer dans la tête des harceleurs.
 
Le récit s’ouvre dans une atmosphère de tension sourde. Léa, adolescente victime de harcèlement, a mis fin à ses jours. Ce drame, évoqué dès la couverture, sert de point d’ancrage émotionnel à tout le tome. Mais au lieu de nous faire vivre sa souffrance de l’intérieur, les auteurs choisissent de braquer le projecteur sur ceux qui l’ont poussée à bout.
Gabriel, chef de meute en devenir, est le protagoniste de cette descente aux enfers. Avec ses trois amis, il forme un groupe de garçons en apparence ordinaires, mais qui se livrent à un véritable jeu de massacre sur les réseaux sociaux. Leur "activité" ? Dénigrer, noter, humilier les filles de leur lycée en leur collant des étiquettes sexistes, insultantes, souvent sexualisées. Le tout dans un climat d'impunité totale. Ce choix narratif nous oblige à regarder en face les mécanismes de groupe, les pressions sociales, la quête de domination masculine, mais aussi les lâchetés silencieuses.
 
Le dessin de Mashi est au service de cette brutalité narrative. Les planches alternent entre scènes de couloir étouffantes, échanges numériques glaçants et flashbacks émotionnellement durs à encaisser. La palette de couleurs, tantôt criarde tantôt sombre, colle à l’angoisse croissante du récit. Le style est direct, presque agressif, ce qui peut désarçonner certains lecteurs… mais qui reflète parfaitement l’univers adolescent dans toute sa violence crue.
 
On pourrait reprocher à certains dialogues d’être un peu trop "codés" ou trop contemporains : "pookie", "balance", "zarma". Mais cet argot n’est pas là pour faire joli : il restitue avec réalisme la langue de la cour de récré, là où le harcèlement s’enracine souvent dans l’humour lourd et le mépris banalisé.
 
Ce tome ne cherche pas à excuser les harceleurs, mais à les comprendre — ou plutôt, à démonter les rouages qui mènent au pire. Ce que le livre réussit brillamment, c’est à montrer comment des adolescents ordinaires peuvent devenir complices d’actes monstrueux, non pas par sadisme, mais par effet de groupe, par recherche de reconnaissance, ou simple conformisme.
Le personnage de Val, par exemple, est particulièrement intéressant. Il incarne la passivité morale : il voit, comprend que ça dérape… mais ne dit rien. Et c’est là que le message du livre résonne fort. Le harcèlement ne se nourrit pas uniquement de bourreaux, mais aussi de silences.
 
Soyons transparents : cette bande dessinée ne cherche pas à rassurer. Elle ne propose ni issue heureuse, ni solution toute faite, ni rédemption apaisante. Ce choix narratif peut déstabiliser. Certains lecteurs — en particulier les plus jeunes — risquent de sortir de cette lecture avec un profond malaise, voire un sentiment de désespoir face à l’absence de réponse immédiate ou d’encadrement clair.
C’est pourquoi il est essentiel d’inscrire cette lecture dans un cadre réfléchi, qu’il soit scolaire, familial ou éducatif, afin d’en accompagner les résonances émotionnelles.
Heureusement, l’album bénéficie du soutien de l’association e‑Enfance / 3018, spécialisée dans la lutte contre le harcèlement en ligne. Un dossier pédagogique, proposé en fin d’ouvrage, fournit des repères et des pistes d’action concrètes. Une initiative précieuse, bien que peut-être encore un peu discrète face à l’intensité et à la brutalité de ce problème de société.
 
Cet ouvrage se présente comme un outil utile pour briser le silence, pour poser des mots là où la douleur reste trop souvent tue. À condition, bien sûr, de l’accompagner d’un dialogue, d’un cadre, d’un échange.
Un album à mettre entre toutes les mains.

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