mercredi 10 décembre 2025

Fabien Toulmé - ULIS

 


Auteur / Dessinateur : Fabien Toulmé
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
Parution : 3 septembre 2025
Pages : 272
EAN-13 : 978-2413088165



Ex-ingénieur en plein doute, Ivan a accepté un poste d'Accompagnant d'Elève en Situation de Handicap en ULIS. Face à cette classe pas comme les autres, à Matisse, l'élève qu'il accompagne, et à une équipe éprouvée par un système à bout de souffle, saura-t-il trouver sa place ? Une aventure intense, entre luttes, émotions brutes et instants lumineux. Un récit poignant sur l'inclusion et la résilience.




Il y a des livres qui vous attrapent sans faire de bruit, comme une main posée sur l’épaule, légère mais insistante. ULIS de Fabien Toulmé fait partie de ceux-là. On l’ouvre sans attente particulière, pensant feuilleter une bande dessinée documentaire de plus et l’on se retrouve quelques pages plus loin à ressentir une étrange intimité avec ces enfants, ces adultes qui les accompagnent, ce monde qu’on croyait connaître et qu’on découvre sous un autre angle.

Ce qui frappe d’emblée, c’est la justesse. Pas la justesse démonstrative, celle qui veut prouver, convaincre, s’imposer — non : une justesse douce, pudique, presque effacée. L’auteur observe. Il écoute. Il accueille. Il restitue l’ordinaire d’une classe ULIS avec une attention qui fait penser aux gestes minuscules. On sent le souci de vérité, mais sans pathos ; la volonté de comprendre, mais sans disséquer.

Le dessin participe à cette retenue. Un trait simple, presque dépouillé, qui laisse respirer les pages. Rien de spectaculaire : des visages ouverts, des regards qui disent plus que les mots, des silences qui s’étirent entre deux cases comme une respiration nécessaire. Tout est à hauteur humaine. À hauteur d’élève même. On n’est jamais dans la démonstration graphique, mais dans l’attentive traduction du réel. Et ce réel, Fabien Toulmé le connaît : son immersion auprès des classes ULIS se lit à chaque geste, chaque inflexion, chaque hésitation du récit. Rien ne sonne faux.

Le personnage d’Ivan, ingénieur en reconversion après un burn-out, sert de guide dans cet univers. C’est à travers ses doutes, ses maladresses, ses enthousiasmes parfois naïfs que l’on entre dans le quotidien des AESH et des élèves qu’ils accompagnent. Il est imparfait et c’est ce qui le rend profondément attachant. On suit sa trajectoire comme on suivrait quelqu’un qui apprend à marcher de nouveau : avec une sorte d’empathie instinctive, de tendresse involontaire. Ses moments de fatigue, de lassitude, de découragement ne sont jamais dramatisés — ils sont vécus, simplement, sans fard. C’est précisément dans cette simplicité que le récit gagne en densité.

ULIS est aussi un livre qui choisit la nuance. On pourrait imaginer qu’il tape du poing sur la table, qu’il dénonce frontalement les manques, les injustices, les aberrations du système éducatif. Il pourrait. Il ne le fait pas. Fabien Toulmé reste dans la demi-teinte, dans l’observation plus que dans la condamnation.
Certains lecteurs pourraient regretter cette absence de colère explicite, cette façon d’effleurer les enjeux sans s’y engouffrer.
Pourtant, ce choix lui permet de préserver une forme de délicatesse, de respect pour les personnes qui vivent tout cela au quotidien — une forme de pudeur qui, selon les sensibilités, touchera profondément ou frôlera trop légèrement.

On pourrait parfois souhaiter que certains personnages secondaires — élèves, professeurs, accompagnants — existent davantage, dépassent le rôle assigné par le récit. Néanmoins, peut-être est-ce justement ce manque qui dit quelque chose de notre rapport au handicap et à l’école inclusive : tant de visages qu’on aperçoit sans les regarder vraiment, tant de trajectoires qui ne nous sont dévoilées qu’en fragments.

En refermant cet ouvrage, on n’a pas appris des « vérités » sur l’éducation inclusive ; on a plutôt rencontré des êtres humains. On n’a pas reçu un réquisitoire ; on a partagé un quotidien. On ne ressort pas armé de certitudes ; on sort plus attentif, plus humain peut-être — comme si ce livre avait discrètement déplacé quelque chose en nous.

C’est une bande dessinée qui demande de la disponibilité, de la douceur, un peu de lenteur. Ceux qui attendent un récit intense, dramatique, rythmé, n’y trouveront pas leur compte. Cependant, pour les autres — ceux qui aiment qu’un livre les accompagne plutôt qu’il les secoue, qu’il prenne le temps de s’installer dans un coin de leur regard — ULIS est une lecture précieuse, aussi discrète que nécessaire.

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