samedi 2 août 2025

Karim Alliane, Taous Merakchi et Mashi - Les combats invisibles, Tome 2

 
Auteurs : Karim Alliane et Taous Merakchi
Dessinateur : Mashi
Éditeur : Dupuis
Collection : K Factory
Parution : 31 octobre 2024
Pages : 224
EAN-13 : 978-2808505802


Gabriel et ses potes, les « Cavaliers de l'apocalypse » comme ils se surnomment eux-mêmes, terrorisent le lycée en jugeant et humiliant les filles tout en espérant les pécho. Léa, lycéenne au caractère bien trempé, refuse de se laisser faire. Mais face à cette meute aussi bête que dangereuse est-il seulement possible de se défendre ? De leur faire comprendre la gravité de leurs actes ?


Avec ce deuxième volume de Les Combats invisibles, les auteurs poursuivent leur immersion dans l’univers du harcèlement scolaire, mais en opérant un renversement du point de vue. Après un premier tome centré sur les victimes, cette suite prend le risque de nous faire entrer dans la tête des harceleurs.
 
Le récit s’ouvre dans une atmosphère de tension sourde. Léa, adolescente victime de harcèlement, a mis fin à ses jours. Ce drame, évoqué dès la couverture, sert de point d’ancrage émotionnel à tout le tome. Mais au lieu de nous faire vivre sa souffrance de l’intérieur, les auteurs choisissent de braquer le projecteur sur ceux qui l’ont poussée à bout.
Gabriel, chef de meute en devenir, est le protagoniste de cette descente aux enfers. Avec ses trois amis, il forme un groupe de garçons en apparence ordinaires, mais qui se livrent à un véritable jeu de massacre sur les réseaux sociaux. Leur "activité" ? Dénigrer, noter, humilier les filles de leur lycée en leur collant des étiquettes sexistes, insultantes, souvent sexualisées. Le tout dans un climat d'impunité totale. Ce choix narratif nous oblige à regarder en face les mécanismes de groupe, les pressions sociales, la quête de domination masculine, mais aussi les lâchetés silencieuses.
 
Le dessin de Mashi est au service de cette brutalité narrative. Les planches alternent entre scènes de couloir étouffantes, échanges numériques glaçants et flashbacks émotionnellement durs à encaisser. La palette de couleurs, tantôt criarde tantôt sombre, colle à l’angoisse croissante du récit. Le style est direct, presque agressif, ce qui peut désarçonner certains lecteurs… mais qui reflète parfaitement l’univers adolescent dans toute sa violence crue.
 
On pourrait reprocher à certains dialogues d’être un peu trop "codés" ou trop contemporains : "pookie", "balance", "zarma". Mais cet argot n’est pas là pour faire joli : il restitue avec réalisme la langue de la cour de récré, là où le harcèlement s’enracine souvent dans l’humour lourd et le mépris banalisé.
 
Ce tome ne cherche pas à excuser les harceleurs, mais à les comprendre — ou plutôt, à démonter les rouages qui mènent au pire. Ce que le livre réussit brillamment, c’est à montrer comment des adolescents ordinaires peuvent devenir complices d’actes monstrueux, non pas par sadisme, mais par effet de groupe, par recherche de reconnaissance, ou simple conformisme.
Le personnage de Val, par exemple, est particulièrement intéressant. Il incarne la passivité morale : il voit, comprend que ça dérape… mais ne dit rien. Et c’est là que le message du livre résonne fort. Le harcèlement ne se nourrit pas uniquement de bourreaux, mais aussi de silences.
 
Soyons transparents : cette bande dessinée ne cherche pas à rassurer. Elle ne propose ni issue heureuse, ni solution toute faite, ni rédemption apaisante. Ce choix narratif peut déstabiliser. Certains lecteurs — en particulier les plus jeunes — risquent de sortir de cette lecture avec un profond malaise, voire un sentiment de désespoir face à l’absence de réponse immédiate ou d’encadrement clair.
C’est pourquoi il est essentiel d’inscrire cette lecture dans un cadre réfléchi, qu’il soit scolaire, familial ou éducatif, afin d’en accompagner les résonances émotionnelles.
Heureusement, l’album bénéficie du soutien de l’association e‑Enfance / 3018, spécialisée dans la lutte contre le harcèlement en ligne. Un dossier pédagogique, proposé en fin d’ouvrage, fournit des repères et des pistes d’action concrètes. Une initiative précieuse, bien que peut-être encore un peu discrète face à l’intensité et à la brutalité de ce problème de société.
 
Cet ouvrage se présente comme un outil utile pour briser le silence, pour poser des mots là où la douleur reste trop souvent tue. À condition, bien sûr, de l’accompagner d’un dialogue, d’un cadre, d’un échange.
Un album à mettre entre toutes les mains.

mercredi 30 juillet 2025

Maggie Tokuda-Hall et Lisa Sterle - Squad

 

 
Auteur : Maggie Tokuda-Hall
Dessinateur : Lisa Sterle
Éditeur : Delcourt
Collection : Waves
Parution : 11 juin 2025
Pages : 224
EAN-13 : 978-2413089681


Quand Becca est transférée dans un lycée des beaux quartiers de la banlieue de San Francisco, elle n'a qu'une peur : ne pas s'intégrer. C'est avec surprise que les trois filles les plus populaires de l'école vont l'accueillir à bras ouverts au sein de leur groupe. En apparence parfaite, les nouvelles amies de Becca cachent pourtant un lourd secret qui ne se révèlera qu'à la pleine lune.


Squad est une œuvre résolument contemporaine qui mélange la teen drama, l’horreur et le féminisme dans un cocktail sanglant et fascinant. J’ai refermé cette bande dessinée avec le même frisson jubilatoire que m’avait procuré The Craft à l’époque — sauf qu’ici, les sorcières laissent place… à des louves.
Le postulat est fort, percutant : une sororité qui utilise la violence comme outil de justice et d’émancipation. Le tout se déroule dans un décor très “lycée américain de séries CW”, avec ses couloirs bien rangés, ses fêtes en banlieue et ses reines du bal.
 
Ce qui frappe immédiatement, c’est le style graphique de Lisa Sterle. Les couleurs pop et pastel côtoient des scènes gores très stylisées, comme un croisement entre Mean Girls et Ginger Snaps. Les visages sont expressifs, les looks travaillés, et chaque case respire une féminité assumée, sans jamais tomber dans la caricature.
L’illustration sert pleinement le propos : séduisante en surface, dangereuse en profondeur. La palette de couleurs, souvent rose, violette ou turquoise, contraste avec les attaques bestiales, renforçant le sentiment de malaise autant que de jubilation.
 
Cette bande dessinée a la capacité à complexifier un message féministe souvent simplifié ailleurs. Oui, ces filles punissent des garçons qui méritent, parfois, d’être remis à leur place. Mais jusqu’où peut-on aller au nom de la vengeance ? Becca, en intégrant la meute, va rapidement comprendre que justice et cruauté ne sont pas toujours faciles à distinguer.
On retrouve ici des thématiques proches de The Craft : l’amitié féminine toxique, l’attrait du pouvoir, la solitude adolescente. Mais Squad les transpose dans un cadre beaucoup plus ancré dans les réalités sociales actuelles : culture du viol, slut-shaming, apparences sociales sur Instagram, …
Ce n’est pas un récit manichéen et c’est tant mieux. Le lecteur est invité à réfléchir sur ses propres limites morales. L’évolution de Becca est d’ailleurs bien écrite, oscillant entre envie d’être acceptée et inquiétude face aux conséquences.
 
Avec Squad, Maggie Tokuda-Hall et Lisa Sterle signent une œuvre forte, à la fois divertissante et percutante, qui sait jouer avec les codes du genre pour mieux les déconstruire. C’est une œuvre qui parle d’adolescence, d’identité, de colère et surtout de transformation – au sens propre comme au figuré.
Si vous avez grandi en regardant The Craft ou si vous aimez les récits de sororité sombre, Squad vous séduira.

samedi 26 juillet 2025

Taizan 5 - Le Péché originel de Takopi

 
Auteur / Dessinateur : Aki Poroyama
Editeur : Pika
Tomes : 2


Takopi est un petit extraterrestre arrivé tout droit de la planète Happy, pour répandre la joie sur Terre ! Sauf que la première personne à lui tendre la main est Shizuka, une fillette au visage infiniment triste... Aussitôt, Takopi se donne pour mission de lui rendre le sourire à l'aide de ses fantastiques "happy gadgets" ! Mais le petit alien est loin d'imaginer la noirceur de l'environnement dans lequel évolue l'écolière. L'innocence et la bonne volonté de Takopi vont peu à peu l'entraîner dans une situation inextricable... Jusqu'à ce que le pire se produise.



Il arrive parfois que certaines œuvres vous prennent par surprise. Pas par leur ampleur, ni leur durée, mais par la violence avec laquelle elles viennent vous chercher. Le Péché originel de Takopi, courte duologie, fait partie de ces lectures qui ne laissent pas indemne. Derrière son apparence enfantine, presque naïve, se cache un récit d’une profondeur émotionnelle et d’une noirceur rarement atteintes dans le manga contemporain.
 
Ce que Taizan 5 réussit avec une précision chirurgicale, c’est de faire coexister deux registres opposés : l’innocence lumineuse de Takopi et la noirceur insondable du monde humain. Le contraste est saisissant — et volontaire. Car plus le récit avance, plus cette candeur devient une sorte de prisme déformant à travers lequel on perçoit l’horreur quotidienne vécue par certains enfants.
Les thèmes abordés sont lourds, voire accablants : harcèlement scolaire, maltraitance et pression parentales, solitude, deuil, culpabilité. Shizuka, au centre de cette tempête, incarne une enfance meurtrie que personne ne semble entendre. Ni les adultes, ni ses camarades. Seul Takopi, en dépit de son incompréhension du monde humain, tente de la "sauver".
Mais que peut l’innocence face à la cruauté ?
Ce manga se divise en deux volumes, mais il serait plus juste de dire qu’elle se déroule en deux actes complémentaires.
Le premier tome frappe fort, très fort. Il nous jette dans la réalité de ces enfants blessés, avec un rythme rapide et des moments de tension insoutenables. Il ose l’irreprésentable, sans jamais tomber dans le sensationnalisme.
Le second volume, quant à lui, opère une relecture subtile du premier. Il interroge les choix, explore la possibilité d’un "autre chemin", joue avec les dimensions temporelles et les conséquences. C’est là que la science-fiction, jusqu’alors discrète, prend une ampleur philosophique : sommes-nous prisonniers de notre douleur ? Peut-on réécrire son destin ?
Cela dit, je dois avouer que certains passages m’ont laissée légèrement confuse quant à la chronologie. La structure narrative, volontairement éclatée dans la deuxième partie, nécessite de l’attention. On perd parfois un peu ses repères temporels, surtout si on enchaîne les chapitres rapidement. Rien de rédhibitoire, mais une lecture attentive s’impose pour bien saisir l’enchaînement des événements.
 
Le style graphique de Taizan 5 est à l’image de son personnage principal : simple, rond, presque enfantin. Et pourtant, il suffit d’un regard vide, d’un silence entre deux cases, pour que tout bascule. L’auteur (ou autrice) joue sur l’opposition constante entre la forme et le fond, utilisant le contraste visuel pour renforcer l’impact émotionnel.
Il y a peu de fioritures, mais chaque case semble pesée, chaque cadrage pensé. Et cela rend les moments de bascule encore plus percutants.
 
Dans un paysage manga saturé de séries à rallonge, Le Péché originel de Takopi se distingue par sa brièveté. Deux volumes, pas un de plus. L’histoire ne s’étire jamais, elle vise le cœur et l’atteint en plein centre. Elle nous pousse à réfléchir sur la souffrance que l’on ignore, sur les enfants que l’on ne regarde pas, sur l’innocence que l’on laisse mourir.
Ce n’est pas une lecture facile. C’est un choc. Mais c’est aussi un rappel nécessaire que certaines douleurs ne peuvent être réparées que si on choisit d’en parler.
 
Le Péché originel de Takopi est une œuvre rare : brève, brutale, bouleversante. Taizan 5 y explore avec une lucidité glaçante la douleur enfantine, la solitude, et la quête désespérée du bonheur. Portée par un dessin en trompe-l'œil et une narration habile (parfois un peu complexe dans sa deuxième partie), cette duologie s’impose comme un récit indispensable, à la croisée de la fable et du drame humain.

mercredi 23 juillet 2025

Gareth Brown - Le Livre des portes

 

Auteur : Gareth Brown
Éditeur : Sonatine
Parution : 10 avril 2025
Pages : 585
EAN-13 : 978-2383992103


Cassie Andrews travaille dans une petite librairie newyorkaise. Elle mène une vie plutôt tranquille jusqu'au jour où un de ses clients décède en laissant derrière lui un ouvrage rempli d'inscriptions dont il allait lui faire cadeau, le Livre des Portes. Cassie et sa colocataire Izzy vont bientôt découvrir que cet ouvrage a un incroyable pouvoir. Grâce à lui, chaque porte s'ouvre à l'époque et à l'endroit que l'on désire. Les deux amies font alors la connaissance d'un homme, Drummond Fox, qui leur révèle l'existence d'autres livres magiques : le Livre de la Chance, le Livre des Illusions, le Livre de la Douleur... Autant d'artefacts qui, s'ils tombaient dans de mauvaises mains, pourraient s'avérer terribles. Leur mission est désormais claire : percer le mystère de l'origine de ces livres, et les réunir afin de les mettre à l'abri. Mais, dans l'ombre, une mystérieuse femme veille, avec d'obscurs desseins...

Quête initiatique, lutte contre les forces du mal, voyages dans le temps... tous les ingrédients sont réunis ici pour un fantastique plaisir de lecture. En plus de personnages formidablement campés auxquels on s'attache immédiatement, Le Livre des Portes est aussi, et surtout, un hommage sans précédent aux pouvoirs merveilleux des livres et des histoires.


Pour ce mois de juillet, le bookclub de Chez Cha Cheshire a choisi comme lecture commune Le Livre des portes de Gareth Brown. Un roman qui invite à un fascinant voyage dans l’espace et le temps, mêlé à une mystérieuse histoire autour d’un livre aux pouvoirs singuliers.
 
J’ai passé un bon moment avec ce roman. Il m’a rappelé ces lectures qui nous enveloppent d’une atmosphère un peu magique, un peu hors du temps, où les livres sont plus que des objets : des clés vers d’autres possibles. L’auteur s’inscrit dans cette veine du fantastique littéraire accessible et sensoriel, à mi-chemin entre l’ésotérisme urbain et le conte initiatique. Le style est fluide, souvent très visuel, ce qui facilite une immersion rapide.
 
Ce que j’ai le plus apprécié, c’est la manière dont le roman explore le concept de voyage dans le temps.
Plutôt que de basculer dans des paradoxes temporels ou des réalités alternatives, Gareth Brown adopte une approche "auto-consistante" : chaque voyage dans le passé ne modifie en rien le présent, car il était déjà inscrit dans le cours des événements. Le fil temporel, en quelque sorte, ne peut être changé — puisqu’il a déjà été influencé par ces mêmes voyages.
Cette conception du temps évite les contradictions habituelles du genre, tout en permettant au récit de rester centré sur l’émotion, la mémoire et les trajectoires personnelles. Le voyage dans le temps devient un outil de compréhension de soi, de consolation parfois, sans jamais se transformer en gadget narratif.
 
Là où Le Livre des portes m’a un peu moins convaincue, c’est dans son rythme narratif. Certains passages sont captivants, voire haletants, notamment les découvertes liées aux livres. Mais d’autres sections m’ont paru étirées, avec des dialogues qui manquent parfois de naturel ou de tension dramatique.
Il y a clairement un déséquilibre entre l’élan du début, très prenant, et une partie centrale plus erratique. On sent que l’auteur veut développer son univers, mais cela se fait parfois au détriment de la dynamique de l’intrigue.
 
Autre bémol : les antagonistes. Malheureusement, ils manquent globalement de subtilité. Leur motivation semble souvent réduite à une forme de mal absolu ou de convoitise schématique. Ils incarnent davantage des archétypes que de véritables personnages complexes. Cela nuit à l’impact dramatique de certaines scènes et rend les enjeux manichéens là où le reste du roman tend plutôt vers la nuance.
C’est d’autant plus dommage que certains protagonistes, comme la Femme, laissent entrevoir un vrai potentiel. Présentée comme cruelle, terrifiante et presque mythique, elle intrigue dès ses premières apparitions. Le lecteur attend avec impatience d’en apprendre davantage sur ses origines et ses motivations. Toutefois, ces promesses restent largement inexploitées : son histoire est survolée, et son rôle se réduit finalement à celui d’un méchant fonctionnel. Une occasion manquée de densifier le récit avec une antagoniste marquante, complexe, presque tragique.
J’aurais aimé des adversaires plus ambigus, plus humains, capables de remettre en question les choix des protagonistes ou d’offrir une autre lecture du pouvoir des portes. Là, ils servent surtout de ressorts pour faire avancer l’histoire, mais sans laisser une trace vraiment forte.
 
Le Livre des portes est un roman imparfait mais qui séduira tout de même les lecteurs et lectrices sensibles aux récits où la magie affleure au cœur du quotidien. Gareth Brown y insuffle une tendresse particulière pour les livres et les destinées qu’ils bouleversent. Malgré un rythme irrégulier et des antagonistes trop simplistes — notamment une figure comme la Femme, prometteuse mais sous-exploitée —, c’est une lecture agréable, accessible, et parfois même touchante. Une belle découverte pour le mois de juillet !

samedi 19 juillet 2025

Carène Ponte - Recherche Lily désespérément

 

Auteur : Carène Ponte
Lecteur : 
Olivia Nicosia
Éditeur : Lizzie
Parution : 3 avril 2025
Durée : 5 h 27 min
EAN-13 : 979-1036641732


Du temps pour soi, ou presque... Tout le monde vante les mérites de la retraite spirituelle. Enfin, toutes les influenceuses que suit Lily, 40 ans, directrice marketing dans une agence d'évènementiel, sur les réseaux sociaux. Après les cures de jus, c'est LE truc tendance. Au retour d'une énième journée de travail éprouvante où on lui a collé dans les pattes une adjointe incompétente à peine sortie de l'adolescence, Lily pose deux mois de vacances. Puis elle tape " location-maison-calme-nature " dans un moteur de recherche. En quelques clics, c'est l'évidence : Val-Flore-les-Bains. Ancienne maison de berger en pierre entièrement rénovée, vues exceptionnelles, dans une vallée sauvage et préservée. L'endroit idéal pour une retraite spirituelle. Lily réserve sans hésiter. À elle les longues heures de lecture, les séances de yoga et le temps, enfin, de s'occuper d'elle. Mais quand la photo est trop belle... Méfiance !

Une comédie pleine d'humanité avec, qui sait, un peu d'amour aussi. Bon séjour à Val-Flore-Les-Bains.



Je découvre enfin la plume de Carène Ponte à travers la version audio de sa dernière sortie. Je remercie les éditions Lizzie pour cette opportunité.
Je comprends maintenant l'engouement autour de cette autrice. Ce roman, à la fois drôle, touchant et introspectif, m'a offert un vrai moment d'évasion.

Lily, la protagoniste principale du roman, est complexe et attachante. On la découvre à un moment où sa vie bascule : elle prend une décision radicale et se lance dans une quête personnelle, en espérant y trouver des réponses. Elle est humaine : elle doute, elle trébuche, elle se révèle... et elle nous fait souvent sourire grâce à son humour un peu piquant et à son regard lucide sur la vie.
Lily n'est ni parfaite ni lisse, et c'est précisément ce qui la rend crédible et émouvante. On se reconnaît facilement dans ses réflexions, ses contradictions, ses élans de courage comme ses moments de fragilité.

Recherche Lily désespérément est un roman feel-good intelligent, porté par une héroïne vraie et un ton résolument humain. On rit, on réfléchit, on s'émeut... Un bel équilibre entre légèreté et profondeur.
Pour une première découverte du travail de Carène Ponte, ce fut plutôt une réussite.

mercredi 16 juillet 2025

Sébastien Pons - Les Sanctuaires


Auteur / Dessinateur : Sébastien Pons
Éditeur : Delcourt
Collection : Encrages
Parution : 4 juin 2025
Pages : 384
EAN-13 : 978-2756050287


Un matin, Sébastien se retrouve mystérieusement paralysé d'une jambe. Face à l'impuissance de la médecine et après d'étranges apparitions, démarre alors un étonnant voyage intérieur, fait de méditations et de visualisations, qui transformera sa vision de la vie. Récit initiatique autobiographique hors du commun, cet ouvrage est un témoignage saisissant sur la spiritualité, l'amour et la mort.


Les Sanctuaires, bande dessinée autobiographique de Sébastien Pons, s'inscrit dans cette veine de récits introspectifs où l'auteur cherche à donner sens à une épreuve personnelle - ici, une mystérieuse paralysie de la jambe qui bouleverse son quotidien. L'ouvrage se veut à la fois journal de souffrance, parcours de guérison et quête spirituelle. Si le projet peut intriguer sur le papier, la lecture laisse une impression plus ambivalente.

Visuellement, l'ouvrage est très beau. J'ai apprécié la palette pastel et le côté aquarelle utilisés. On sent que l'auteur a mis beaucoup de soin dans la composition graphique de son récit.

Là où le livre m'a davantage laissé sur le bord du chemin, c'est dans son approche narrative et spirituelle. Le point de départ - une douleur inexpliquée et une errance médicale - est universel et pose un cadre réaliste, presque clinique. Mais, très vite, le récit bascule dans une dimension plus ésotérique : chi-kung, hypnose, méditation profonde, ... Autant de pratiques qui, sans être dénuées d'intérêt, sont abordées de manière très personnelle. L'auteur ne cherche pas tant à expliquer qu'à retranscrire son expérience intérieure - ce qui est légitime - mais cela rend la lecture parfois difficile d'accès pour qui n'adhère pas à cette vision du soin et de la spiritualité.

L'ouvrage oscille entre sincérité touchante et repli introspectif. Sébastien Pons ne cache ni ses fragilités, ni ses contradictions, et c'est peut-être ce qu'il y a de plus fort dans le récit : cette honnêteté désarmante, presque brute, dans la manière de parler de soi, de ses douleurs, de ses peurs, de ses choix sentimentaux. En revanche, cette mise à nu émotionnelle ne suffit pas toujours à maintenir l'intérêt sur la durée, tant le récit tend à se diluer dans une succession d'expériences subjectives et de visions symboliques.

En somme, Les Sanctuaires est une œuvre sincère, esthétiquement aboutie, mais dont la dimension très introspective et spirituelle pourra laisser certains lecteurs à distance.
Pour ma part, malgré un sujet de départ que je trouvais prometteur, j'ai eu du mal à vraiment entrer dans l'univers proposé. L'ésotérisme omniprésent m'a paru excessif, presque excluant, là où j'espérais un cheminement plus universel. Cela n'enlève rien à la valeur personnelle du témoignage, mais cela limite, à mes yeux, la portée émotionnelle et narrative de l'ouvrage.

lundi 14 juillet 2025

Yatuu - Erika au royaume Razpoil


 Autrice / Dessinatrice : Yatuu
Éditeur : Autoédité
Parution : Mai 2025
Pages : 64
EAN-13 : 978-2956549130


Erika et sa troupe débarquent au royaume de Razpoil !
Un royaume très à cheval sur la pilosité !
Les habitantes de cette contrée vivent dans la crainte d'un monstre redoutable !
Mais étrangement, ici, pas de prince en détresse ?!
Pourtant, pas de doute, il est bien sur la liste...
Le mystère est bien touffu !



Lorsque j'ai réceptionné le troisième tome des aventures d'Erika et les princes en détresse, j'ai également reçu en mini tome.

 Imaginez un monde où les poils sont illégaux, où la pilosité naturelle est considérée comme un crime, où les hommes doivent se plier à une norme lisse, contrôlée, imposée par son régime autoritaire.
Sous ses airs de conte loufoque, cet ouvrage dit énormément de notre société.

Yatuu parvient à parler de normes de beauté, de pression sociale et de liberté corporelle avec une remarquable légèreté. Pas besoin de discours pesants : ici, l'humour fait mouche, les dialogues sont dynamiques et les situations absurdes révèlent une réalité que certains préfèrent souvent ignorer.
Le message est clair : il est temps de se réapproprier son corps, de questionner les normes imposées et d'apprendre à dire non à ce qui nous rend malheureux-ses.

Une fois encore, Yatuu réussit à nous faire rire et réfléchir et cela fait du bien !

samedi 12 juillet 2025

Yatuu - Erika et les princes en détresse, Tome 3

 

 Autrice / Dessinatrice : Yatuu
Éditeur : Autoédité
Parution : Mai 2025
Pages : 336
EAN-13 : 978-2956549123


L'aventure continue avec le prince Aurel ! Changé en grenouille, il rejoint la troupe pour trouver le remède à sa malédiction. Au milieu du désert, nos héroïnes découvrent un prince retenu par un clan d'ogresses. Pour le sauver, Erika devra remporter le grand tournoi de Luchadogresse ! Au royaume de Brute, Irvine, Benoit et Alfi ont enlevé le roi, un acte qui aura de graves conséquences...



J'ai bien évidemment participé à la campagne Ulule pour le troisième tome des aventures d'Erika.

Dans ce nouveau volume, on retrouve le trait vif, expressif et efficace de Yatuu. On ressent une évolution graphique dans les scènes de combat.

L'univers est élargi avec la découverte du royaume de Brute. Sans rien perdre de son humour, Yatuu explore ici des thématiques sérieuses. Les enjeux sont lourds, les conséquences visibles et les moments de tension bien construits.
Si l'humour reste omniprésent, il est contrebalancé par des passages touchants et introspectifs. J'ai particulièrement aimé découvrir le passé commun d'Irvine et Benoît.

Cette suite a su me convaincre. Elle approfondit l'univers et développe les personnages. On rit, on s'émeut, on réfléchit... Que demander de plus ?!
J'ai hâte de connaître la suite de cette histoire.

mercredi 9 juillet 2025

Léa Muna - Contrer les Brumes, Tome 1 : Le guet de More

 

Auteur : Léa Muna
Éditeur : Scrineo
Parution : 15 mai 2025
Pages : 489
EAN-13 : 978-2381673042



Au cœur de l'Amertume, là où le danger rode, la rencontre entre Clervie et le chimèron remettra en question tout ce qu'elle pensait savoir... Et si cet hybride mi-humain, mi-chimère, était la preuve vivante d'un salut pour l'humanité ?

Dans l'Amertume, une étendue de brumes mortelles, les chimères rôdent.

Clervie, domestique sur le guet de More, passe ses journées au service de messer Sénoc, un éminent alchimiste. Entre préparation du feu bleu et relevés du front brumeux, toutes les précautions sont bonnes pour se protéger de l'Amertume.
Juste avant la grande marée, les hommes du bastion découvrent l'existence d'un chimèron, un hybride mi-humain, mi-chimère. Les inquiétudes s'accroissent avec la montée des brumes. Quelles sont les véritables intentions de cette créature ?
Lorsque Clervie découvre qu'elle a des facultés similaires à celles du chimèron, tout bascule : un lien se tisse entre eux, et elle doit maintenant choisir entre son cœur et ses devoirs.

Et si le chimèron n'était pas une menace, mais la preuve vivante d'un salut pour l'humanité ?


Le premier tome de Contrer les Brumes pose les bases d'un univers original et intriguant, où les brumes ne sont pas qu'un simple phénomène météorologique mais un danger réel, une force presque vivante à contrer. Si l'idée de départ séduit par son originalité, j'ai néanmoins trouvé qu'il fallait s'armer d'un peu de patience avant d'en savourer pleinement la richesse.

La mise en place du récit m'a semblé en effet un peu longue. Les premiers chapitres prennent le temps d'installer les enjeux, de présenter les personnages et surtout de poser les règles de ce monde. Cela a tendance à ralentir un peu le rythme.

Cependant, ce worldbuilding vaut l'effort. L'autrice maîtrise son sujet et distille avec intelligence les éléments nécessaires à la compréhension sans verser dans l'exposition lourde. On sent que tout a été pensé : les mécanismes sociaux, les forces en présence, les dangers diffus.

Parmi les personnages, Clervie est une héroïne qui ne se démarque pas par son charisme. Ce sont néanmoins son pragmatisme et ses réactions nuancées qui en font une protagoniste crédible, plus proche de la réflexion que de l'héroïsme flamboyant. Sa relation avec certains personnages est touchante. On y retrouve le thème de la "found family".

Un autre aspect qui mérite d'être souligné est la place de la femme dans cet univers. Sans revendiquer ouvertement un propos féministe, le roman esquisse en filigrane des tensions liées aux attentes sociales, au pouvoir et à la légitimité des femmes dans des rôles décisionnels ou militaires. L'héroïne, justement, se heurte à certaines résistances et doit sans cesse prouver sa compétence dans un système qui ne l'attend pas forcément à ce poste. Ce traitement subtil, sans discours appuyé, renforce l'épaisseur du personnage tout en interrogeant doucement les rapports de genre dans cet univers brumeux.

En somme, cet ouvrage est une entrée en matière soignée, qui prend le temps de construire ses fondations. Les promesses posées ici donnent envie de poursuivre l'aventure.
Je remercie la maison d'édition Scrineo pour cette découverte via la plateforme NetGalley.

samedi 28 juin 2025

Liane Moriarty - Ici et maintenant

 

Auteur : Liane Moriarty
Lecteurs : 
Cachou Kirsch
Éditeur : Audiolib
Parution : 16 avril 2025
Durée : 16 h 04 min
EAN-13 : 979-1035416935


Les passagers du vol Hobart-Sydney patientent à bord de l'avion dans l'attente du décollage. Parmi eux, une mère dépassée par ses deux enfants, de jeunes mariés en lune de miel, un père de famille qui rentre chez lui, un homme en deuil, une infirmière proche de la retraite, une hôtesse de l'air qui fête son anniversaire. Des étrangers destinés à ne jamais se revoir.

Mais voici que, tout à coup, une petite femme discrète aux cheveux gris se lève de son siège et s'adresse à chacun d'eux pour leur annoncer la date et les circonstances exactes de leur mort.

Qui est-elle ? Une véritable voyante ou une folle ? Pour nos voyageurs, une chose est sûre : la vie ne sera plus jamais comme avant.



Je continue mon exploration du livre audio avec, cette fois-ci, le dernier roman de Liane Moriarty. Je connaissais sa plume à travers son roman Un peu, beaucoup, à la folie.
Je remercie les éditions Audiolib de m'avoir permis cette écoute.

Dès les premières minutes, l'autrice frappe fort avec une scène d'ouverture singulière : une femme se lève dans un avion et révèle à chaque passager la date et la manière dont il va mourir. On croirait presque à un pitch de série télé, mais Liane Moriarty le traite à sa façon : sans effet de manche, sans drame exagéré, presque avec discrétion. C'est précisément là que réside à la fois la force et la fragilité du roman. Ce n'est pas un thriller, ni une œuvre de science-fiction ou de fantasy. C'est un récit choral, humain, où la question de la mort agit comme un révélateur de nos déséquilibres intimes.
Les passagers, tout à coup confrontés à leur propre fin, deviennent les héros d'une introspection collective. Chacun voit son monde intérieur chavirer. Mais là où on attendrait un basculement brutal, l'autrice préfère la subtilité : elle explore les pensées, les doutes, les réactions minuscules qui font la vérité d'un être humain. Toutefois, cela implique un rythme lent, parfois étiré, qui pourrait en dérouter certains en quête de tension dramatique continue.

Le roman fonctionne en mosaïque. On suit les trajectoires de plusieurs passagers. Chacun réagit à l'annonce selon son vécu, ses blessures, ses peurs.
En revanche, certaines trajectoires restent inégalement développées. Certaines voix sont plus marquantes que d'autres. Certaines histoires se résolvent de façon un peu trop prévisible ou laissent en suspens des questions qu'on aurait aimé voir approfondies.

Le style de Liane Moriarty est fluide et ponctuée d'humour discret. Cela fonctionne très bien en version audio. L'écoute prend une dimension presque philosophique : que fait-on du temps qu'il nous reste ? Est-ce que savoir nous rend plus vivant ? ou plus vulnérable ?

Ce qui peut diviser, c'est l'ambiguïté fondamentale de l'histoire. La mystérieuse femme qui délivre les dates de mort ne sera jamais totalement expliquée. Est-ce une illuminée ? Une prophétesse ? Liane Moriarty ne tranche pas. C'est un choix assumé, qui ouvre la porte à l'interprétation, mais qui laissera peut-être sur leur faim ceux qui espéraient une résolution plus claire.

La fin du roman adopte un ton plus apaisé. Il n'y a pas de dénouement fracassant, mais un apaisement plus ou moins progressif, comme si chaque personnage avait appris à regarder sa vie autrement. Cette fin m'a tout de même un peu frustrée. J'ai trouvé la résolution un peu trop rapide alors que le reste du roman est guidé par une narration plutôt lente.

Au final, Ici et maintenant est un roman ambitieuse dans son intention mais inégal dans sa réalisation. Il séduit par sa construction chorale et son regard tendre sur l'humanité ordinaire. Néanmoins, il laisse une impression de demi-mesure.
C'est un livre que je qualifierais de plaisant, sans être marquant. Une lecture fluide, bien construite, parfois touchante, mais qui, une fois terminée, se dissipe assez vite. Ce fut une parenthèse agréable mais éphémère.

samedi 21 juin 2025

S. F. Williamson - A Language of Dragons

 

 Auteur : S. F. Williamson
Éditeur : Big Bang
Parution : 26 mars 2025
Pages : 448
EAN-13 : 978-2362315305



Il suffit d'une étincelle pour allumer un brasier.

Londres, 1923. Les dragons sillonnent le ciel et dans les rues, le peuple se révolte.

Vivien, elle, reste concentrée : elle veut devenir traductrice de langues draconiques et s'assurer que sa petite soeur n'aura jamais à vivre dans la misère de la troisième classe.

Et pourtant, il ne lui faudra qu'une journée pour déclencher une guerre civile.

Dès lors, elle n'a pas le choix : pour réhabiliter les siens, elle doit travailler pour le gouvernement britannique et tout faire pour décrypter un mystérieux code draconique. Si elle échoue... sa famille mourra. Mais aux côtés des autres jeunes recrutés, et notamment d'Atlas, un garçon aux tendances rebelles issu de la troisième classe, Viv comprend peu à peu que les enjeux du conflit ne sont pas ceux qu'elle pensait.

Quelle guerre est-elle vraiment prête à mener ?



Ce roman a été sélectionné dans le cadre du Bookclub de juin organisé par Charlotte (Chez Cha Cheshire).

A Language of Dragons est porté par un concept original : la langue comme lien entre les humains et les dragons. L'autrice explore la manière dont les langues peuvent être porteuses d'histoire, de culture et d'émotions, mais également de pouvoir. Cette approche donne une vraie profondeur au monde qu'elle crée : les échanges ne sont pas anodins, les traductions sont complexes et chaque nuance linguistique a des conséquences. C'est un hommage subtil à la richesse des langues, à leur fragilité, mais aussi à leur potentiel de connexion entre des êtres radicalement différents.

Malgré un univers bâti autour d'eux, les dragons, censés être au cœur du récit, restent étonnamment en retrait. Leur présence, bien que fascinante sur le plan conceptuel - notamment avec l'idée de l'écholocalisation comme forme de perception et de communication - est trop peu exploitée. Ce potentiel narratif est relégué à l'arrière-plan, alors qu'il aurait mérité d'être pleinement exploré. J'espère que la suite redonnera aux dragons une vraie place au centre de l'intrigue.

En parallèle, le traitement des personnages peine à convaincre. Viv, la protagoniste principale, est particulièrement difficile à apprécier : impulsive, immature, parfois (souvent ?) insupportable. On sent une volonté de la faire évoluer, mais pour l'instant, elle crée une véritable barrière à l'immersion. Les autres personnages sont également esquissés de manière un peu trop superficielle pour pleinement porter l'histoire.

Malgré ces faiblesses, A Language of Dragons propose une approche originale de la fantasy, où les mots ont un vrai pouvoir - symbolique, culturel et narratif.
L'univers, encore en pleine construction, donne envie d'en découvrir davantage.
J'espère que la suite parviendra à mieux équilibrer le potentiel des dragons, le développement linguistique et l'évolution des personnages.

samedi 14 juin 2025

Alain Ayroles, Hervé Tanquerelle et Isabelle Merlet - La Terre verte

Auteur : Alain Ayroles
Dessinateur : Hervé Tanquerelle
Coloriste : Isabelle Merlet
Éditeur : Delcourt
Parution : 9 avril 2025
Pages : 256
EAN-13 : 978-2413076780


Aux derniers temps du Moyen Age, les ultimes descendants des Vikings tentent désespérément de survivre sur les rivages glacés du Groenland. Un homme au lourd passé, en quête d'une seconde chance, débarque parmi eux. Leur apportera-t-il le salut ou précipitera-t-il l'effondrement de la "Terre verte" ?


Je remercie les éditions Delcourt de m'avoir permis de découvrir cet ouvrage via la plateforme NetGalley.

En toute transparence, lorsque j'ai commencé ma lecture, je n'avais plus en tête le résumé de ce récit. On nous propose ici une uchronie réaliste se déroulant dans les paysages glacés du Groenland.
On nous livre une version crédible d'un monde qui aurait pu exister. Tout est plausible, documenté, solidement ancré dans l'histoire. Le travail documentaire est solide, les références historiques et anthropologiques sont bien intégrées sans être pesantes.
L'uchronie sert avant tout de cadre à une réflexion sur le pouvoir, la mémoire et les choix individuels. Richard est présenté comme un personnage ambivalent, entre remords, ambition et résilience.

Graphiquement, une véritable atmosphère est créée : les paysages glacés, les visages burinés, les couleurs discrètes mais efficaces, ... Tout cela renforce la sensation de froid, de tension et d'enfermement.

Malgré cette richesse visuelle et contextuelle, mon ressenti est en demi-teinte.
La figure centrale du récit peine à susciter l'empathie, et ce malgré sa complexité. Il est tout en retenue, ce qui rend difficile l'implication du lecteur. Il en va de même pour plusieurs personnages secondaires : bien caractérisés, mais pas toujours pleinement exploités.
Le récit semble vouloir beaucoup dire - sur le pouvoir, l'exil, la mémoire, la foi, la survie - mais le fil rouge se dilue parfois dans une narration trop cérébrale. On sent la volonté d'intellectualiser, de donner du poids historique et symbolique à chaque dialogue ou confrontation. Malheureusement, cela se fait parfois au détriment de l'émotion ou de la tension dramatique.

La Terre verte est une œuvre ambitieuse. Elle propose une vision originale d'un monde oublié, entre Histoire et fiction. Toutefois, cette ambition freine par moment l'élan narratif. L'album impressionne plus qu'il n'emporte et laisse une sensation de distance : intellectuellement stimulant, mais émotionnellement un peu froid.